00:42 (...) vous expliquer ce qu'il y a d'extraordinaire dans cette découverte, surtout pour les philosophes, au sens où ça introduit des nuances considérables dans la notion de vérité.
05:07 On va voir très graduellement quelle est la philosophie que Grothendieck utilise quand il travaille, c'est à dire qu'il n'hésite jamais devant une tâche que n'importe quel mathématicien normal considèrerait comme étant sans intérêt, rébarabative, n'allant rien lui rapporter.
10:52 L'article de Grothendieck est marqué reçu 1er mars 1957. C'est cet article "Sur quelques points d'algèblre homologique" (...) on peut vraiment placer l'origine des topos dans cet article (...) Dans cet article, il introduit ce que sont les catégories abéliennes (...) avec toutes leurs propriétées etc. Il développe l'algèbre homologique dans cadre des catégories abéliennes. Mais ce qui est beaucoup plus important, c'est qu'il prend deux types d'exemple de catégorie abélienne dans son article. Le premier exemple est la catégorie abélienne des modules sur un annneau ; ça appartient à Cartan Eilenberg. Il prend aussi l'exemple des faisceaux de groupes abéliens un espace topologique (...) Ce qui est absolument crucial, c'est qu'il avait un autre exemple (...) les catégories de diagramme (...) Il avait l'idée que si vous prenez des diagrammes de groupes abéliens, quels que soient les diagrammes que vous regardez, ça forme encore un catégorie abélienne (...) Il avait là les deux piliers de la notion de topos (...) La notion d'espace topologique qui donne les faisceaux de groupes abéliens etc. Et il avait aussi la notion de catégorie de diagramme (...) qui donnent naissance à un topos, et ces topos ont un rôle absolument fondamental qu'on va utiliser tout le temps (...)
17:14 On va entendre Grothendieck qui définit ce que c'est un faisceau.
17:44 - 31:40 Extrait d'un cours de Grothendieck (à Buffalo).
31:55 Il faut qu'on s'habitue à cette incroyable patience qu'il a d'expliquer tous les détails, d'aller jusqu'au bout de tous les détails (...) c'est une qualité absolument essentielle dans sa démarche.
35:30 Quel est l'avantage de travailler avec des faisceaux d'ensemble ? Quand vous travaillez avec des faisceaux d'ensemble, vous pouvez définir ce que c'est qu'un groupe ou une algèbre dans ce truc la. Vous travaillez comme si vous travaillez dans les ensembles, mais où il y a une variabilité. Il y a quelque chose qui bouge mais sinon vous faites exactement comme si vous travaillez dans les ensembles habituels. Si vous cherchez ce que c'est qu'un groupe abélien dans cette catégorie des faisceaux d'ensemble, vous trouvez les faisceaux de groupe abélien (...) On a été éduqués, au moins à mon époque, avec la théorie des ensembles. En fait c'était surtout une erreur. La vraie manière de penser, c'est la théorie des catégories. Il pense à cette espèce de théorie qu'il a devant les yeux comme une catégorie.
55:34 Yves Montand
1:07:32 Il y a une espèce de malédiction sur les topos
1:07:41 Une métaphoreOn avait l'habitude de mettre l'espace à étudier sur le devant de la scène ; ce que fait Grothendieck avec les topos c'est faire jouer à l'espace le rôle d'un "deus ex machina" qui n'est pas prėsent sur le devant de la scėne, il reste dans les coulisses pour introduire une variabilitė, un alėa, dans la thėorie des ensembles. Les acteurs sont les mêmes que dans les mathėmatiques usuelles, groupes, algėbres, ordre etc. etc. mais ils possėdent une variabilitė nouvelle qui est due au topos, ils dėpendent d'un alėa et ce dernier caractėrise le topos.Ce qui est important, c'est de savoir que quand vous avez un topos, vous pouvez faire toutes les manipulations, vous pouvez parler de groupe abélien, d'algèbre etc. Et si vous travaillez avec un topos provenant d'un espace topologique ça vous donnerait des faisceaux de groupes abéliens ou les faisceaux d'algèbre etc. C'est formidable d'avoir cette liberté de manoeuvre.
1:08:19 Lorsqu'on travaille dans un topos, tout se passe comme si on manipulait des ensembles ordinaires. Dès qu'on fait des fibrés sur un espace, on prend l'habitude de penser à un fibré comme à un à un espace vectoriel variable. Mais là, la variabilité, c'est la bonne notion de variabilité parceque ça paramétrise les ensembles. Sauf qu'on ne peut plus appliquer la règle du tiers exclu. Si on a une proposition P, on ne peut plus dire P est vraie ou non P est vraie
1:09:06 Par exemple si vous regardez une discussion politique à la télévision, nous avons l'habitude de dire celui-là a raison ou celui-là il a tort. Je prétends qu'on n'a pas l'outil conceptuel qu'il faut pour juger. Je vais vous donner des exemples montrant à quel point la notion de vérité est une notion beaucoup plus subtile, et à quel point l'idée du topos permet de la formaliser.
1:17:54 Ce que je prétends, c'est que notre esprit, notre formation logique est extrèment primitive. On a l'habitude lorsqu'on écoute une discussion politique, de décréter oui ou non. Telle personne a raison ou telle personne a tort. Et en fait, on est dans l'erreur en faisant ça. Je rêve, mais s'il y avait des philosophes qui connaissent suffisament les maths et qui comprennent les topos de l'intérieur, il y a peu de gens qui comprennent les topos de l'intérieur, il y en a très peu ; ils seraient capables de donner des modèles qui seraient utiles pour beaucoup mieux apprécier ce genre de discussion ou de situation qui sont beaucoup plus subtile par rapport à la notion de vérité que cette notion d'une inefficacité absolue, qui est que un tel a raison ou un tel a tort.
1:24:45 Je vais vous dire le moment qui pour moi a été crucial dans l'appréciation de la notion de topos : avant, quand on me présentait un topos, on me présentait toujours un topos en me disant : je prends une petite catégorie et je suppose qu'elle est stable par produit fibré. A ce moment là, mon oreille se fermait et je pensais à autre chose. Quand on dit ça, on a bien-sûr en tête l'intuition topologique. Quand on dit que la catégorie a des produits fibrés, on pense à deux ouverts qui ont une intersectionA partir de là, on peut développer des choses. Ce qui a été crucial, c'est le moment où j'ai compris que déjà dans SGA 4, Grothendieck avait défini les sites et les topologies de Grothendieck sans aucune hypothèse sur la petite catégorie. L'avantage énorme lorsqu'on fait ça, c'est qu'on comprend mieux ce dont on parle.
En mathématique, il faut comprendre que la principale difficulté lorsqu'on est devant un problème, c'est d'arriver à penser juste. Une fois qu'on arrive à penser juste, les choses tombent comme des fruits mûrs. Et ce n'est pas penser juste que de demander à la petite catégorie d'avoir des produits fibrés.
1:44:28 : citation de Récoltes et SemaillesCraindre l'erreur et craindre la vėritė sont une seule et même chose. Celui qui craint de se tromper est impuissant à dėcouvrir. C'est quand nous craignons de nous tromper que l'erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc. Car dans notre peur, nous nous accrochons à ce que nous avons décrėté "vrai" un jour, ou à ce qui depuis toujours nous a ėtė prėsentė comme tel. Quand nous sommes mus, non par la peur de voir sėvanouir une illusoire sėcuritė, mais par une soif de connaître, alors l'erreur, comme la souffrance ou la tristesse, nous traverse sans se figer jamais, et la trace de son passage est une connaissance renouvelée.1:50:45 On peut formuler une question précise à Grothendieck, mais il va dire "cette question n'est pas dans le bon cadre". Et il va développer une théorie générale de telle sorte que la question devienne naturelle. A partir du moment où la question est naturelle et où on a pris la peine et le temps de penser juste, elle va tomber comme un fruit mûr.
1:55:53 C'est une notion qui est maudite. Avec Pierre (Cartier) et laurent Lafforgue, on a essayé pendant plusieurs années de soutenir une mathématicienne très très brillante, qui est Olivia Caramello, et on s'est heurté à l'hostilité, pour ne pas dire le mépris du monde mathématique en général. On a pu expérimenter à cette occasion à quel point il y a une espèce de fatalité sur la notion de topos, il y a quelque chose qui irrite les gens parceque sans doute ils ressentent - c'est ce que dit Grothendieck, il le dit tellement bien, il le dit explicitement, il l'avait déjà ressenti à son époque - sans doute ils ressentent qu'il y a quelque chose, mais ils ne le comprennent pas vraiment. Et pour le comprendre vraiment, il faut en faire bien sûr, mais il y a un moment où la notion va vous appartenir et vous allez arriver à vous l'approprier. Et la meilleure manière, c'est cette métaphore, c'est le fait que l'espace n'est pas au devant de la scène, il est derrière. C'est un espèce de deus ex machina, et c'est lui qui fait tourner les ensembles, c'est lui qui introduit un aléa dans la théorie des ensembles. De même qu'il y a un aléa dans les nombres premiers que nous connaissons tous, de même qu'il y a un aléa du quantique.
En cours : 1:09:40