La notion de vérité selon Grothendieck
Laurent Lafforgue

Notes d'un exposé de Laurent Lafforgue, conférence du séminaire « Lectures grothendieckiennes » le 9 janvier 2018.
Cette conférence est disponible sur http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=3259
0'38 : Cette conférence fait suite à une autre donnée en septembre [2017] à Zurich dans un colloque intitulé "La méthode axiomatique 100 ans après Hilbert" (...) Hilbert avait donné en 1917 une conférence sur la pensée axiomatique (...) Le thème de cette conférence était "La méthode axiomatique selon Hilbert et selon Grothendieck".

2'49 : Je me suis rendu compte que ce thème de la méthode axiomatique était lié à celui de la conception de la vérité en mathématique (...) Au 19e siècle, la découverte des géométries non-euclidiennes avait amené à remettre en cause la notion naïve de vérité (...) On considérait les axiomes, comme les axiomes d'Euclide, comme des vérités premières, évidentes, dont toutes les autres devaient se déduire (...) Cette conception des axiomes a évolué, avec Hilbert, Fregge et d'autres (...) On voit que les axiomes deviennent plutôt affaire de convention, c'est à dire qu'on peut accepter ou refuser des axiomes, on peut faire une théorie tout à fait intéressante fondée sur certains axiomes, et en fonder une autre toute aussi intéressante fondée sur d'autres axiomes, voire des axiomes contradictoires avec les précédents. Donc la notion de vérité dans ce cadre là devient relative, et elle est remplacée plus ou moins par la notion de cohérence. L'une des deux grandes questions posées par Hilbert dans sa fameuse conférence, c'est de savoir si les axiomes, par exemple les axiomes de la géométrie (...) sont cohérents ou non (...) On sait que quelque temps après Gödel montrera que les espoirs de Hilbert étaient mal fondés. La conclusion (...) était que la notion de vérité avait été beaucoup relativisée, y compris en mathématique, par l'approfondissement des théories.

7'00 J'avais pensé à parler de Grothendieck dans une conférence sur la pensée axiomatique parcequ'il me semblait, connaissant les mathématiques de Grothendieck, qu'en quelque sorte il était la plus parfaite illustration de la pensée axiomatique. (...) J'ai donné un certain nombre de raisons mathématiques pour lesquelles à mon avis Grothendieck était un exemple parfait de la méthode axiomatique. (...) J'ai recherché ce que Grothendieck disait [dans "Récoltes et Semailles" et "La clef des songes"] des axiomes, de la méthode axiomatique. Et là, j'ai eu une très grande surprise, à savoir que ces mots n'apparaisent quasiment jamais sous sa plume.

11'25 Il dit qu'il a de très fortes raisons de penser que le monde n'est pas entièrement mathématisable, qu'à son avis on pourrrait même le démontrer.

13'19 En revanche (...) sous la plume de Grothendieck, le mot vérité revient constamment (...) en fait les mots "vrai", "véritable", "véritablement".

15'12 J'ai lu ce texte [la clef des songes] dans les semaines qui ont suivi la nouvelle de la mort de Grothendieck, et j'ai été absolument stupéfait de son intérêt philosophique, de sa richesse, de son originalité. (...) Thèmes abordés : la liberté, la vérité ; thème central dans ses oeuvres non mathématiques : la création.

17'22 Le but de ma conférence d'aujourd'hui est d'encourager à lire Grothendieck (...) et à le lire avec grande attention.

22'16 Grothendieck est quelqu'un qui emprunte des mots au langage courant pour désigner de nouveaux concepts.

30'00 On a l'impression que ses textes sont le résultat d'une attention extrême. (...) Travail et attention revêtent une grande immportance pour lui.

Dans la clé des songes, il n'y a pas de contenu mathématique. (...) La vérité dont je vais vous parler aujourd'hui est elle quelque chose d'autre, d'étranger aux mathématiques que Grothendieck a pratiqué, ou s'agit-il toujours de la même chose ? Mon opinion personnelle est qu'il s'agit toujours de la même chose.

Le texte commence comme une recherche sur les rêves, puis finalement devient une reflexion sur ce qu'il appelle son itinéraire spirituel, voire sa relation à Dieu, comme il le dit explicitement. (...) Il s'agit aussi d'une recherche sur la connaissance de soi. On n'est plus dans une recheche des mathématiques, mais il n'empêche que quand on connaît sa recherche mathématique, la manière dont il en parle et qu'on lit ensuite ce qu'il a écrit à propos de la recherche de la connaissance de soi, on a vraiment l'impression que c'est la même recherche. C'est les mêmes méthodes, la même manière de faire, d'en parler.
En cours : 34'08